Synthèse et conclusion
La tolérance
Le concept de tolérance est né au 17° siècle sous la plume de Locke, qui était en faveur du libéralisme
politique (à ne pas confondre avec le néo-libéralisme) et du pluralisme des idées. Il a son origine
dans les guerres de religion entre catholiques et protestants. C’est une valeur limitée, négative : on
tolère ce qu’on réprouve. Et c’est une valeur transitive : on n’est jamais tolérant dans l’absolu, on est
tolérant envers quelque chose. Notre société contemporaine est très tolérante dans certains
domaines, mais plus intolérante que la société d’autrefois dans d’autres domaines, comme, par
exemple, la pédophilie ou la maltraitance aux enfants. Le contre poids de l’intolérance, c’est la
connaissance. Celle des différentes cultures, des différentes religions. La méconnaissance entraîne
l’intolérance qui va de pair avec le préjugé. La reconnaissance, c’est un degré supérieur à la
tolérance. Ce que je vois en l’autre, je le vois en moi. C’est une double connaissance. On peut aussi
reconnaître à l’autre des mérites qu’on n’a pas. La reconnaissance n’a pas besoin de la similitude.
Quand il y a différence, la reconnaissance est plus difficile mais toujours possible, c’est un défi
éthique.
La tolérance, c’est la question de ce qu’on accepte pour vivre ensemble. C’est important avant le
déclenchement de la violence. Après, elle ne peut plus grand chose.
La fraternité
La fraternité ? Elle est inscrite au fronton des mairies et des écoles, elle fait partie de la devise de la
République, mais qui y a réfléchi ? La fraternité est une valeur absolue qui ne dépend pas d’un objet.
A l’intérieur d’une fratrie, la fraternité peut faire défaut : cf. Caïn et Abel. Les guerres fratricides, les
guerres civiles sont les plus cruelles. Il peut y avoir une fraternité des frères d’armes, très forte. Il
peut y avoir une fraternité entre gens de même race et cela n’est pas incompatible avec le racisme.
La fraternité peut exister à l’intérieur de petits groupes ou s’étendre à tous les hommes. L’histoire a
montré qu’au cours de la 1° guerre mondiale, les soldats des 2 côtés avaient été capables de
fraterniser pour Noël. « Il y a eu une reconnaissance : je me retrouve dans l’autre. Comment être
violent ? ». Mais cela n’a pas été possible pendant la 2° guerre mondiale. On ne peut pas fraterniser
avec tout le monde. Hannah Arendt dit à Eichmann: « parce que vous avez refusé de partager la
terre avec une partie des hommes, nous refusons de la partager avec vous. Vous devez être pendu ».
La fraternité est une prévention de la violence. Une société qui n’inclue pas une part de ses citoyens,
risque de déclencher de la violence à tout instant.
Peut-elle désarmer la violence ? Parfois oui. Le patron de l’imprimerie dans laquelle se sont réfugiés
les terroristes a réussi à cacher un de ses employés. Il a vu que le terroriste était blessé et lui a
proposé de le soigner. Il lui a proposé un café. Ils l’ont laissé partir. Cet homme a fraternisé avec le
côté humain des terroristes et effectivement, c’est désarmant. C’est le parti pris de la Croix Rouge,
on soigne les blessés sans se préoccuper de quel côté il se trouve.
La violence
La violence est un système. Si vous répondez par la violence, vous êtes dans le système de l’autre.
Pour arrêter la violence il faut en prendre le contrepied. C’est le principe de la « non –violence ».
Dans la violence extrême on se fait tuer. Le terrorisme est un état très particulier du crime, et il ne
reste pas grand-chose à faire. Mais quand on est au début d’une agression, il est encore possible et
c’est très important de ne pas entrer dans le système de l’autre. La violence a été justifiée par
beaucoup d’idéologies. Par exemple par Che Guevara ou par la résistance. Tuer lors d’une guerre,
c’est différent. La guerre est déclarée par des états, elle peut donc se terminer par un traité, c’est
pourquoi l’expression « guerre contre le terrorisme » est bien mauvaise.
Il y a une violence d’état : cf l’exécution de Ben Laden.
Pour les terroristes, compte tenu de l’importance du dispositif, il aurait peut-être été possible de les
prendre vivants et de les faire comparaître devant la cour pénale internationale pour crimes contre
l’humanité. Mais pour l’état, les tuer, cela venge les faits. Il y a encore l’idée que les barbares ne
méritent pas qu’on soit civilisé avec eux. Nous ne sommes pas encore tout à fait dans la civilisation.
Pourquoi cette violence ? Le terrorisme, c’est l’aboutissement de quelque chose. Il aurait fallu
intervenir avant. Il est fondamental de comprendre, ce qui ne veut pas du tout dire justifier. Il ne faut
pas se laisser décourager par ceux qui disent que rien ne peut justifier ce crime. La justification, c’est
de la morale. L’explication, c’est de la connaissance, et elle est essentielle. On ne peut pas dire que
c’est un fou isolé compte tenu du nombre de personnes qui sont parties en Syrie et du nombre de
djihadistes en puissance. C’est, d’une certaine façon, un échec de la société.
Il y a un projet politique et militaire, celui de restaurer le califat, antérieur à la construction des étatsnations
dans le monde arabe. La religion n’est pas le ressort principal de ce conflit, elle est un
instrument pour fanatiser des gens au service de cette idéologie politique. Il y a aussi le conflit entre
les chiites et les sunnites avec des intérêts très puissants derrière. L’interprétation comme une
guerre de religions est une vision déformée de la situation.
Il y a de la violence quotidienne, des paroles qui font mal, qui tuent. Il y a des caricatures qui font
mal. Il y a de la violence dans les caricatures de Charlie Hebdo, même si cela n’est pas vu ainsi par
tous, pour une partie de la population, cela est ressenti comme une agression, et il faut le prendre en
compte.
La liberté d’expression
Le mot d’ordre dimanche, c’était de dire que la liberté d’expression n’avait aucune limite. On peut le
soutenir, pourtant la réflexion sur les limites est importante dans presque tous les domaines. Si la
liberté elle-même connait des limites, comment la liberté d’expression n’en aurait-elle pas ?
Lorsque la liberté de la presse est attaquée, on la défend, mais jusqu’où ? Nous sommes encore dans
la maximalisation, mais il faudrait réfléchir à une éthique de la communication. Celui qui est blessé
est blessé parce qu’il n’a pas compris. Soit. Nous, nous rions et nous considérons que c’est parce que
nous sommes intelligents : le bénéfice pour ceux qui rient est là, une affirmation de supériorité. Les
autres, ils n’ont qu’à se cultiver pour mieux comprendre et donc ne pas être blessés. Une éthique de
la communication impliquerait de se demander quel est le gain de blesser des personnes. Où est la
fraternité là-dedans. On risque de les rendre plus manipulables et d’augmenter la vulnérabilité de la
démocratie. On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde. Or dans la société, on a à faire avec
tout le monde.
Conclusion
La tolérance ne peut pas grand-chose quand la violence est déclenchée. La fraternité peut un peu
plus, si on parvient à éveiller un sentiment de fraternité. C’est en amont que cela doit intervenir.
La tolérance n’est pas une valeur absolue, mais une valeur transitive. La fraternité, c’est différent,
elle peut aspirer à l’universalité : on peut aspirer à reconnaître tous les hommes comme des frères,
mais c’est un idéal et non pas une réalité. La fraternité est toujours limitée par la reconnaissance. La
reconnaissance dépend de la connaissance. Si on connait peu de l’autre, il est dur de le reconnaître
comme frère.
En France, il y a la liberté de culte et la liberté de conscience. Sans elle, il n’y a pas de connaissance,
pas de reconnaissance, pas de fraternité. Dans la philosophie chrétienne l’amour peut tout. Mais ce
n’est pas suffisant, car l’amour ne se décrète pas et on n’aime pas tout le monde. Il faut aussi une
force et des institutions justes. Il faut la démocratie, il faut l’intelligence, la connaissance, la liberté de
conscience, la liberté d’expression, mais aussi le respect d’autrui. Aucune de ces valeurs ne peut être
élevée en absolu, au risque d’annuler les autres.