Qu’est-ce que la pensée ?
Pour Socrate, la pensée est une conversation que l’âme a avec elle-même. Dans la littérature
moderne, c’est un monologue intérieur. Cela se fait avec le langage.
C’est une activité psychique consciente. Cela ne veut pas dire seulement qu’on a des idées. La pensée
avec des idées, articulée par le langage, c’est principalement la production des propositions (on
affirme quelque chose de quelque chose). On parle de pensée propositionnelle.
On peut la constater de la pensée chez les animaux.
Quand Descartes disait « je pense », il ajoutait « je suis une chose qui pense », qui imagine, qui se
rappelle, qui ressent. Il y a beaucoup de choses de la vie psychique intérieure. Aujourd’hui on ne
parlerait pas précisément de la pensée, mais de la conscience. Mais ce sera Locke qui utilisera le mot
conscience le premier un peu plus tard.
Ce que l’on pense excède les possibilités de sa propre compréhension : on croit comprendre quelque
chose, on écrit quelque chose. Quelque temps plus tard, on ne comprend plus. Dans le débat c’est la
même chose. Il y a une zone d’inconfort qui consiste à ne pas tout saisir.
L’origine du langage
Est-ce qu’on a commencé à parler pour échanger des informations sur des dangers, sur des sources
de nourriture ? Mais les abeilles communiquent ce type d’informations sans langage.
Ou est-ce qu’on a commencé à parler pour exprimer des sentiments des émotions, des sentiments
des désirs ? De la poésie ? Du chant ?
La question de l’origine des langues pose des questions insolubles, qui ont occupé beaucoup les
philosophes, principalement au XVII et au XVIIIe siècle.
Avait-on quelque chose à dire et on s’est mis à parler ou est-ce qu’on a parlé et qu’ensuite on s’est
dit qu’il fallait avoir quelque chose à dire?
Tout le monde (philosophes, psychanalystes) est d’accord pour dire que plus notre langage est
complexe, plus notre pensée l’est aussi.
Certaines langues sont-elles plus aptes à communiquer certains types de pensées ? Ou bien est-ce
que chaque langue est précise dans certains domaines et pas dans d’autres ? Est-ce qu’autrefois on
préférait le français comme langue internationale parce que les enjeux étaient surtout diplomatiques
et qu’aujourd’hui on préfère l’anglais parce que les enjeux sont surtout économiques et
technologiques ?
Existe-t-il une pensée non langagière ?
Y a-t-il une pensée pré-linguistique ? Que nous reformulons ensuite en parole ?
Le rêve, est-ce que ce sont des pensées ? Ce sont des idées de l’inconscient. Pour Lacan, l’inconscient
est construit comme un langage. Le rêve, c’est une activité psychique inconsciente. Les 2 activités
psychiques, conscientes et inconscientes, sont de la pensée.
Le lapsus trahit la pensée consciente, mais il est révélateur de l’inconscient. La vigilance du surmoi se
relâche : nous ne disons pas ce que nous voulons dire. Notre volonté n’est pas tout.
Mais il arrive qu’on dise : « j’avais une idée, je n’ai pas réussi à la dire ». Il y a quelque chose dans la
pensée qui excède le langage.
Un langage ?
Est-ce que la musique est un langage ? Y a-t-il des idées musicales ? Et la peinture ? Et les arts ? Nous
n’arrêtons pas d’inventer des extériorités pour traduire les idées, les émotions, les sentiments, les
désirs. Il y a le langage verbal et le langage créatif. Le langage articulé ne correspond qu’à une toute
petite partie de la vie humaine. Les langues s’apprennent relativement facilement justement parce
qu’elles ne correspondent qu’à une petite partie de la vie humaine.
Socrate se méfiait de l’écrit à cause de la mémoire. Si on se met à écrire, on ne cultivera plus la
mémoire. Victor Hugo fait dire à un personnage ecclésiastique, dans le contexte de l’invention de
l’imprimerie, « ceci remplacera cela », le livre remplacera la cathédrale. C’est ce qu’on dit toujours et
c’est toujours une idée fausse. Rien n’est remplacé. Il y a des paliers dans lesquels la pensée humaine
trouve des extériorités différentes…
Le pouvoir des mots
Dans l’histoire de la Tour de Babel, Dieu a infligé la pluralité des langues aux hommes pour les
empêcher d’avoir trop de pouvoir et d’aller jusqu’au ciel. Le langage est un pouvoir, les mots ont un
pouvoir. Il y a un enjeu dans la signification des mots.
En politique, le langage sert la pensée de celui qui parle. La manière de nommer une chose
conditionne à avoir une attitude envers la chose. Le langage est le champ de bataille des idées.
Le langage peut être manipulation. Aujourd’hui, on met en cause des droits sans le dire. La
propagande, c’est utiliser la langue de bois à des fins de domination, comme la Nove-langue
d’Orwell. Victor Klemperer a décrit le langage du 3° Reich, et c’est un langage oppressif. Dans
certains cas, le langage ne trahit pas la pensée, mais il est mis au service d’une pensée perverse.
Mais c’est aussi le langage qui permet de lutter contre l’oppression.
Le langage prévient le surgissement de la violence, mais il peut aussi être violent. Dans les systèmes
totalitaires, le langage est un outil de violence. Le langage prévient la violence physique mais il peut
aussi la susciter.
Conclusion
Le langage trahit la pensée quand on s’en sert pour trahir la confiance. En réalité il ne trahit pas la
pensée mais l’homme. Le langage sert à trahir l’humanité quand on s’en sert pour nous
déshumaniser.
Mais il sert aussi à dénoncer cela.
Comme souvent en philosophie, l’énigme est éclaircie mais pas résolue. L’expression verbale n’est
pas l’expression de ce que nous sommes, mais une version, une réduction. Il faut nous familiariser
avec toutes les autres formes d’expressions : musique, peinture, danse, érotisme …le langage du
non-dit. Il y a une pluralité infinie de formes de langages.