Synthèse et Conclusion
Est-ce que nous occultons la mort ? Telle que la question est posée, elle contient une affirmation, elle affirme que la mort est occultée.
Est-ce vrai ? Il y une certaine mise à l’écart de la mort, elle ne se passe plus à la maison comme jadis, mais à l’hôpital. Même si des efforts sont faits pour que les soins palliatifs puisent être dispensés à domicile, en impliquant les proches et en plaçant le mourant au centre, cela reste marginal. Nous avons perdu la familiarité avec la mort. Nous avons peur de la mort, de la vieillesse et de la souffrance. On relègue de plus en plus en périphérie des villes les cimetières, les maisons de retraite et les hôpitaux. En ce qui concerne les résidences pour les personnes âgées, c’est le contraire de ce qui serait bénéfique pour eux. Pour certains, ce sont des questions d’urbanisme. Pour d’autres, et notamment dans le cas des maisons de retraites, c’est un choix délibéré, pour laisser la place aux commerces, mais il y a un manque de clarté et de sincérité.
Quand Calypso propose à Ulysse la vie éternelle, elle accompagne cette offre de la jeunesse éternelle. Sans cela, ce serait la déchéance qui serait éternelle. Ulysse, néanmoins, décline cette offre, préférant la vie humaine, l’amour, la fidélité, le retour chez-lui dans son monde fini. La transmission est un moyen de lutter contre la mort, par la succession de générations. Mais la famille s’est réduite à la famille nucléaire et on ne vit plus avec les anciens. Donc on ne voit plus tout à fait la succession des générations. La transmission et la continuité des choses sont devenues des idées abstraites et non pas des expériences de tous les jours. La peur de la mort. Les jeunes ont peur de la mort : ce n’est pas quelque chose qu’on leur inculpe, mais quelque chose qu’on ressent. Les media représentent partout la mort, mais en disant qu’ils montrent. Il y a une déréalisation. Les moins jeunes aussi ont peur, la peur de la mort ne dépend pas de l’âge. Pour certains c’est davantage la peur de la souffrance, de la déchéance que la peur de la mort. Épicure disait « La mort n’est rien pour nous, tant que je suis là, ma mort n’est pas là ; quand elle sera là, moi, je n’y serai plus ». Pour certains c’est la mort qui donne son sens à la vie. Mais tout le monde voudrait toujours que cela dure un petit peu plus. Il y a ce rêve d’éternité.
Dans les monastères autrefois était écrit dans chaque cellule, « souviens-toi que tu dois mourir ». Cela est aussi le ressort de différentes formes d’initiation. La mort violente (confère les attentats) nous incite à profiter pleinement de la vie. Souvent, on dit qu’il faut « s’éclater », mais si on ne dit pas que c’est parce qu’on va mourir, on est dans une sorte de mensonge et d’inauthenticité.
Quelle mort ? Il faut laisser faire la nature. Cela paraît de bon sens. Seulement, l’espérance de vie est passée de 30 à 80 ans. Il y a longtemps que nous avons perdu ce que la nature proposait. Le mourant d’aujourd’hui survit grâce à la technique médicale. Que cela nous plaise ou pas le moment de notre mort dépend
d’une décision. Qui prend la décision ? Quand quelqu’un n’a plus les capacités physiques d’agir, faut-il laisser les autres décider pour lui ou respecter sa volonté s’il l’a clairement exprimée. Parler de la mort, c’est toujours parler de la vie. Qu’est-ce que nous perdons ? La vie sans la mort au bout, c’est une condamnation à perpétuité. C’est la finitude qui donne son sens à la vie. Mais alors, pourquoi est-ce qu’on n’accepte pas la mort ? La vie ne sera jamais totalement accomplie. Même avec une durée bien plus grande. La conscience de la mort, et notamment de la mort soudaine nous fait réaliser que nous serons, tôt ou tard, séparés de ceux que nous aimons, soit par leur mort, soit par la nôtre. Il est donc primordial de prendre soin de la relation. Ce n’est donc pas forcément « s’éclater », la bonne réponse à laconscience de la mort, mais la culture des liens, l’amélioration de la vie.
Conclusion
Nous n’occultons pas la mort, mais nous avons perdu la familiarité avec elle. Ce n’est pas seulement la mort que nous redoutons, mais le vieillissement et la souffrance. Les générations se succèdent, c’est ainsi, les anciens disparaissent et les nouveaux arrivent. Mais nous avons perdu le fil de la succession générationnelle. Notre espérance de vie s’est considérablement allongée.
Les évolutions scientifiques d’aujourd’hui nous permettent d’orienter les choses : cela vaut la peine d’y réfléchir. Quelle fin de vie voulons-nous ?
Est-ce vraiment la finitude qui donne son sens à notre vie ? Mais puisque tout le monde désire continuer, c’est paradoxal et cela nous laisse dans le mystère. La philosophie, ce n’est pas seulement se préparer à la mort, c’est plutôt s’efforcer de bien vivre. Et nous ne pouvons faire que cela : essayer de bien vivre.