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CAFÉ-PHILO PHILOMANIA
CAFÉ-PHILO PHILOMANIA
Qu’est-ce qu’être heureux ?
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On peut comparer un sujet philosophique à un objet tridimensionnel dont il faut faire le tour.
Commencer par observer ses aspects, décrire, définir les mots, et puis, à un moment donné, rentrer dedans. Parfois, il faut pour cela une clé, parfois il faut forcer, il faut une pioche (Nietzsche parlait d’un marteau). On observe tout d’abord que le sujet « être heureux » se confond souvent avec, mais n’est pas exactement celui du « bonheur ». Le bonheur est-il un sentiment ou un état émotionnel ? Les émotions, c’est mécanique, c’est immédiat. Les sentiments, c’est quelque chose qui se construit, qui s’installe, qui dure. Un sentiment, c’est un mélange d’émotion et de pensée. Pour parler de bonheur, il faut une certaine durée, sinon, on parle de joie ou de contentement, qui eux, sont purement des sentiments subjectifs. Le bonheur aussi, mais il est en même temps quelque chose de plus. Pour les uns, le bonheur, c’est l’accomplissement d’un but qu’on s’est fixé. Pour d’autres, c’est de l’ordre du ressenti : en écoutant de la musique, en marchant…

Il y aurait 2 sortes de bonheur :

– L’un qui proviendrait des petites choses.

– L’autre qui serait une construction, la réalisation d’un but.

On peut ressentir de la joie sans atteindre la félicité. Dans le cas de la réalisation d’un but, ce but est difficile à atteindre. Il y a des efforts à faire, on rencontre des problèmes et des frustrations, on n’aura pas vécu un état de contentement permanent. On se heurte à l’échec. Dans ces cas, peut-on dire qu’on est heureux dans le chemin ou seulement quand on a atteint le but ? Pourquoi serait-on fier d’une réalisation ? Pour certains, nous sommes entièrement déterminés par notre milieu. Pour d’autres, nous sommes responsables de notre destin. Certes, il y a des influences, mais il y a une conscience qui choisit entre les influences. Et il y a l’intervention de la volonté. Avec ces éléments nous observons que l’idée du bonheur est très étroitement liée à celle de la liberté.

Peut-on être heureux si on n’est pas libre ?

Bonheur. Le mot français est très spécial, il parle de la bonne heure. Le bonheur, c’est lié au temps, c’est une bonne période ou une bonne séquence. Cela s’apparente aussi à l’augure. Agir, être ou être né sur de bons augures. Cela peut aussi être interprété comme « opportunités », les grecs anciens appelaient cela « Kairos », un autre mot pour dire le temps. Le mot anglo saxon est différent :
« happiness » renvoie vraiment à comment on se sent, un état psychologique subjectif. Le bonheur est inaccessible parce qu’on compare toujours. La lassitude intervient aussi : si c’est tout le temps la même chose on n’éprouve plus le même bonheur. L’idée de la stabilité du bonheur stable, qui semble nécessaire, apparait en même temps comme contradictoire. Si on sait pourquoi on a été heureux, on peut savoir ce qui manque : amour perdu, pays lointain (pour l’exilé). « J’ai reconnu le bonheur au bruit qu’il a fait en partant » a dit quelqu’un.

Cela implique qu’on n’était pas conscient quand on le vivait. Est-ce donc que le bonheur n’est jamais expérimenté au moment où il est là ?

Pour certains, le bonheur, c’est être « déconnecté », indépendant, ne pas être un mouton ni un rouage de la machine sociale. Cette idée est assez proche d’un idéal des stoïciens : l’autarcie, se suffire à soi-même.

Rousseau dans l’Emile : L’existence du soi est liée originairement à « l’amour de soi ». Mais il faut différencier l’amour de soi et « l’amour propre », qui est déjà une déformation, issue de la comparaison avec les autres, sujet à l’envie. Pour beaucoup dans la culture contemporaine, le bonheur est dans la richesse. Il faut se poser la question. Si on ne peut pas manger, on ne peut espérer satisfaire son esprit. Il y a un minimum à avoir et chacun a sa définition de qui est le minimum nécessaire. On peut voir quelqu’un devenu très riche en faisant quelque chose qu’il n’aime pas – aurait-il été heureux ? – et à côté quelqu’un de moins riche, mais qui fait quelque chose qu’il aime. Beaucoup de gens ne se considèrent heureux que pendant les vacances. Pour Aristote, c’est la contemplation qui procure une existence la plus épanouie, la plus riche, la plus heureuse. Pour le sage, le bonheur, c’est une vie accomplie, c’est lié à l’activité, et aux qualités (vertus) de l’être que nous sommes. Le bonheur, c’est d’être en harmonie avec soi-même et avec ce et ceux qui nous entourent.


Comment concevoir un bonheur qui n’impliquerait pas d’autres êtres humains ? Si on développe une conscience supérieure, on est séparés des autres. On peut toujours trouver quelque chose à l’extérieur avec lequel on est en résonnance. Quand on possède beaucoup, on peut avoir un regard dédaigneux sur les choses. Il faut refuser d’être l’esclave des choses. Savoir se contenter de peu, c’est une des clés du bonheur. Mais il y a des conditions : avoir la santé, de quoi se nourrir et un abri à soi, une certaine intimité. Est-ce qu’on peut être heureux en sachant qu’on va mourir ? L’idée de la mort ne rend pas le bonheur absurde ? Ou au contraire, on peut donner un objectif à sa vie pour ne pas avoir vécu pour rien ? Cela peut même renforcer l’appréciation du moment présent. Le bonheur ne se vit donc qu’au présent ? Pourtant, vivre le moment présent peut être nuisible : on ne pense pas aux conséquences. Cf la fable de la cigale et de la fourmi. On peut vivre l’instant T, mais il faut travailler pour cela, s’en donner les moyens. Cela semble encore un paradoxe du bonheur. Le bonheur vient aussi du partage. Un philosophe cite cette phrase : « Mozart, c’est bien, mais Mozart avec toi c’est incomparablement mieux ».


Conclusion

On a donc 2 versions différentes du bonheur :

– Une dans l’instantanéité : apprécier le moment présent, l’harmonie, le vivre ensemble dans un accord.
Se déconnecter de ce qui va venir après. Le moment présent peut être positif, beau, harmonieux, donner du plaisir. Mais il faut un minimum : de la nourriture, un lieu à soi, la santé.

– On peut aussi se donner un but, un objectif, savourer la réussite par rapport au but que l’on s’est fixé et même profiter des mauvais moments, parce qu’ils permettent d’apprendre, d’avancer vers le but, parce qu’ils ont du sens. La première version est fragilisée par le fait que ces moments ne seront pas pour toujours, ne seront pas les seuls vécus et ils dépendent de bien d’autres choses que nous. La deuxième version est aussi difficile parce qu’elle inclut les souffrances, voire le malheur. Être heureux donc, cela implique qu’on ne l’est pas toujours et donc pas entièrement. Le bonheur est ainsi, soit une mise à l’écart des état de malheur ou de souffrance et une fixation sur des instants heureux, ou une idée qui inclut la difficulté, les choses ne sont pas parfaites, la réalisation d’une vie inclut la souffrance et la frustration, qui sont partie du chemin, autrement elle n’est pas complète.