Synthèse et conclusion du café philo du 11 Octobre 2016
Quelle influence les images ont-elles sur notre pensée ?
Exploration :
Qu’est-ce qu’une image ?
Une image s’adresse d’abord à nos sens, on perçoit d’abord une sensation visuelle, qui induit des émotions et est tout de suite interprétée. L’image n’est jamais strictement visuelle. L’émotion est une sensation du corps, mais elle est aussi cérébrale. C’est-à-dire que c’est avec tout ce que nous sommes que nous regardons une image. Les aveugles de naissance disent qu’ils voient. Il y a des images dans les rêves. L’image dépasse donc le purement visuel. Les tableaux nous donnent du bonheur, nous font réfléchir, ce sont des images à but artistique, esthétique. L’image est une représentation, elle n’est donc pas la réalité visuelle, mais une « monstration » de quelque chose de choisi parmi le visible, ou d’inventé. Mais les images peuvent être aussi de propagande. Les nazis les ont beaucoup utilisés ainsi, ils montraient « l’image » qu’ils voulaient donner du régime, mais ils cachaient systématiquement leurs crimes, car ils savaient que c’était des crimes. Daech fait un usage contraire : recherchant l’adhésion par des images d’exécutions. Pour eux, ce ne sont pas des crimes, mais un combat. Quelle influence ont les images violentes ? Sans doute différente selon le récepteur, mais aussi selon le contexte. Il y a eu sur cette question, en général deux positions, l’une qui affirme que les images violentes vont induire la violence chez celui qui les regarde, on s’alarme de la violence dans des films, dans les jeux vidéo, etc. Mais une autre version, qui remonte à Aristote, dans sa théorie de la tragédie, parle de « catharsis » ; selon lui, le spectateur de la tragédie, en regardant des événements navrants, pouvait se purger, se décharger de ses passions violentes, l’horreur, la crainte, la colère. C’est une polémique qui n’a jamais été tranchée. Les images produisent de l’émotion et la pensée est colorée par l’émotion, on peut donc se demander si elles ne constituent pas un véhicule pour influencer.
Ainsi surgit la question : qui conduit ce véhicule ? Qui détient le pouvoir de créer ? Et plus précisément : qui maitrise les médias qui véhiculent les images ? Pour les images publicitaires, le moment où on montre l’image est important. Ce sont souvent les pubs les plus bêtes qui ont le plus d’impact. Influence : induire un comportement. Les images induisent plutôt un état d’âme. Il peut y avoir une occultation de certaines images, mais c’est différent de la manipulation. L’angle de vue peut jouer un rôle : pour une manifestation, le cameraman peut montrer l’endroit le plus dense ou le plus clairsemé selon ce qu’il veut démontrer. L’image est partielle, elle n’est qu’une partie, mais ce n’est pas pour autant qu’elle prend toujours parti. En revanche, elle est subjective, car produite par un sujet et elle ne peut donc pas être neutre. Comme on dit, une « prise de vue », faite selon un « point de vue », c’est aussi un prise de position.
L’image peut avoir une importance pédagogique : un dessin qui explique, l’organisation des titres et des sous-titres, qui nous aident à « visualiser », à comprendre avec notre sensibilité. C’est ainsi qu’on dit « une image vaut mille mots ». Elles peuvent être utilisées aussi à des fins mnémotechniques : les images sont stockées dans un endroit du cerveau différent que le texte. Certaines images peuvent sidérer et donc provoquer un arrêt de la pensée pour un moment. Des images peuvent changer le cours des choses et cela passe par la sidération (la petite vietnamienne fuyant le napalm ou le petit Aylan, mort sur une plage) ; parfois cela peut changer le cours de l’histoire. L’influence d’une image dépend de la personne qui la fabrique, mais aussi de l’état d’esprit du récepteur. L’artiste veut produire une émotion, mais il ne peut pas prévoir exactement la réaction du récepteur. On ne sait pas quelle fonction avaient les peintures de la grotte de Chauvet, mais elles ont toujours le pouvoir de produire des émotions aujourd’hui. Selon les historiens l’objectif des statues grecques et romaines n’étaient pas l’art, mais le culte, toutefois elles provoquent en nous une émotion esthétique. Même si les images sont faites dans un but précis, il y a toujours autre chose : la beauté. On peut dire que la beauté est quelque chose qui transcende l’intention avec laquelle une image a été produite.
L’image est le plus souvent une rencontre entre celui qui l’a bâtie et celui qui la reçoit et l’interprète. La rencontre est médiatisée par l’image. La rencontre peut ne pas avoir lieu (des images qui laissent froid). Il y a une puissance transmise et reçue des artistes de l’image. L’image peut aussi être un écran, ou un masque, c’est ainsi que l’on dit : « travailler son image ».
Barthes souligne qu’un photographe nous montre quelque chose, mais affirme quelque chose en même temps : « ceci a été ». L’image photographique a une force prégnante, un « effet de réalité », tout en étant subjective, elle pose une objectivité. D’ailleurs, n’appelle-t-on pas un « objectif », la lunette optique d’une appareil photo ? Les nouvelles technologies ont pourtant modifié la façon de produire des images et de les diffuser. Aujourd’hui, il est devenu difficile de lire un texte sans image. Certaines personnes sont plutôt auditives, d’autres visuelles. Il semble que les civilisations archaïques étaient plutôt dans l’écoute. Les grecs auraient été visuels. Ils avaient 2 mots pour image : eidos (la figure, mais aussi l’idée, le concept ) et eikôn (représentation, effigie, cela donne le mot « icône » ). Pour Platon, eidos était l’aspect des choses, donc sa vérité, et l’icône une imitation (mimesis) qui faussait la réalité, notamment les décors réalistes avec de la perspective. Par une étrange inversion, le mot eidos, donne eidolôn, l’« idole ». Ces images trompeuses étaient des idoles, tout en gardant le mot icône pour les images religieuses. S’en est suivi la longue polémique entre ceux qui acceptaient ces images et les « iconoclastes », qui les rejetaient.
Aujourd’hui nous sommes dans l’idolâtrie dans d’autres domaines, pour la mode, les sportifs, les hommes politiques. Autrefois, c’était plutôt le commentaire de l’image qui était susceptible de nous influencer. Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, le rapport est en train de s’inverser, car on peut manipuler très facilement les images elles-mêmes. Par exemple avec les images de synthèse ou la « réalité virtuelle », l’affirmation de Barthes selon laquelle il y aurait un effet de vérité (« ceci a été ») de la photographie tend à s’estomper.
Conclusion :
L’image peut être un support de la pensée, la servir. L’image peut enseigner, apprendre. Les images artistiques nous sensibilisent, nous apprennent à voir. L’art nous élève, en produisant des émotions esthétiques voire spirituelles, très profondes.
Mais elles peuvent aussi nous amener à l’idolâtrie. La puissance des peintures religieuses nous touche, même si nous ne sommes pas croyants, les images rupestres nous bouleversent même si ne savons pas pourquoi elles étaient faites.
Une image est un aspect de vie représenté, une médiatisation du réel. Il y a une rencontre entre le producteur de l’image et l’image, et une rencontre entre l’image et le récepteur. Comment faire pour que la pensée soit renforcée, libérée ? Il ne faut pas en rester au commentaire. Il faut analyser. Il existe des méthodes. Il y a un effet de réalité dont il faut se distancier. Il faut considérer l’image comme une image et non pas comme la réalité représentée. Avec les nouvelles technologies, il y a une omniprésence des images. On nous parle de réalité augmentée : la réalité reste ce qu’elle est. C’est le virtuel qui est modifié. Les enfants apprennent avec des images. Nous nous construisons aussi de la culture avec des images : les arts plastiques, le cinéma. Nous nous construisons donc nous-mêmes. Nous devons apprendre à vivre dans un monde d’images, et continuer à penser. Avec les images, parfois contre elles, ou malgré elles.