PHILOMANIA, Logotype
CAFÉ-PHILO PHILOMANIA
CAFÉ-PHILO PHILOMANIA
L’engagement social a-t-il encore un sens ?
Loading
/

Qu’est-ce qu’un engagement social ?

Si le but c’est le vivre ensemble, alors le gouvernement, les institutions de l’Etat, les services sociaux font de l’engagement social ? Le social varie dans le temps et selon les cultures ? Le bénévolat est-il un engagement social ? Souvent le terme engagement est utilisé pour ceux qui sont bénévoles. Mais les bénévoles s’interrogent : est-ce qu’ils prennent l’emploi d’un salarié ? Est-ce qu’ils ne se substituent pas à ce que devrait faire l’état ? Le mot « associatif » contient la racine « social », s’associer, faire société… Autrefois on parlait de « polis », la cité. Le social, c’est la vie de la cité, la vie avec les autres, cela englobe la politique, « l’homme est un animal politique », cela signifie que l’homme vit dans une « polis », qu’il vit avec les autres. Mais la politique n’est pas tout. Le sens est du domaine de l’interprétation. On pourrait à la place se demander : l’engagement a-t-il du sens ?
Surtout dans un « État providence ».
Mais, il n’est plus tout à fait juste d’état-providence, parce qu’il y a de moins en moins de prise en charge. La « providence », d’ailleurs est un concept théologique : c’est la capacité d’un dieu à la fois de prévoir, de voir à l’avance, et de pourvoir.


Le café-philo, par exemple, c’est un engagement à philosopher dans la cité. Mais les philosophes peuvent paraître parfois démunis face aux professionnels de la politique, technocrates et administrateurs de capitaux…

L’engagement social est-il d’autant plus nécessaire que l’individualisme a détruit les liens sociaux ? Mais il ne faut pas confondre l’individualisme et l’égoïsme. L’individualisme a une valeur à laquelle on ne voudrait pas renoncer. Quand on dit un citoyen = un vote, c’est aussi un principe individualiste ! Et c’est la démocratie. Dans une théocratie comme l’était par exemple, la société tibétaine, c’est un groupe religieux qui gouverne. L’individualisme nous émancipe. Mais on perd aussi quelque chose : les liens humains très forts dans la chapelle, la paroisse. L’engagement social des citoyens est là pour pallier aux carences, car l’état ne peut pas tout. Et même si l’état pouvait tout, il ne serait pas souhaitable qu’il fasse tout : on tomberait dans le totalitarisme !

S’engager serait donc une démarche citoyenne, mais justement, on décrit le désengagement comme une des conditions de la vie actuelle. On dit aussi « je suis dégagé de mes obligations ». En-gager, c’est donner un gage. Le paysan au Moyen Age était lui-même le gage. Un affranchi c’est un citoyen dégagé des liens qui le liaient au à un seigneur ou à une église. L’engagement dont nous parlons devrait donc s’appeler le « ré-engagement ». Il faut être dégagé pour pouvoir s’engager. Il faut ainsi réhabiliter l’individualisme et le différencier de l’hyperindividualisme, qui est l’indifférence aux autres et le souci obsessionnel de soi-même. Pour les communautariens, – à ne pas confondre avec l’usage qu’on fait en France, ce sont des philosophes anglo-saxons –, le groupe prime sur l’individu. Tout ce qui fait sens pour l’individu vient du groupe, par le langage, la culture, la transmission et le contexte. Au sein d’une association, les motivations individuelles se rassemblent. On retrouve souvent les mêmes personnes dans plusieurs associations différentes. Est-ce qu’il suffit d’une action ponctuelle pour se dire être engagé ? L’engagement, cela a à voir avec le temps. Cela n’est pas forcément en lien avec l’humanitaire, mais cela signifie que les autres peuvent compter sur celui qui s’est engagé : par exemple le barreur dans l’équipage d’un voilier, il ne suffit pas de bien barrer une fois, l‘équipage doit pouvoir compter sur lui. C’est donc aussi une emprise sur le futur, une sorte de promesse. Par notre engagement, nous exprimons notre volonté de donner une forme au futur. Si on croyait au déterminisme, on ne s’engagerait pas : quoi qu’on fasse, tout est écrit. On peut dire ainsi que la base de l’engagement, c’est la liberté. On ne s’engage que si on est libre et si on croit qu’on peut avoir une emprise sur le futur. Aujourd’hui, l’homme n’a pas de programme pré-installé, il décide de son avenir, dans la mesure où il croit y avoir une prise. Uniquement payer une cotisation d’un parti, un syndicat, une association, est-ce suffissant pour se dire engagé ? C’est le service minimum, mais il y en a aussi qui ne le font pas. La base de l’engagement, c’est le désir et il n’y a pas de désir sans quelque plaisir concomitant. Il y a une angoisse de la liberté, certes comme disent certains philosophes. L’engagement peut être dans certains cas, une manière de combler le vide. Mais le plus souvent, si on le fait, c’est que cela nous fait plaisir. C’est un égoïsme bien entendu. L’engagement est une source de joie et d’enrichissement. Les personnalités les plus fascinantes sont souvent les plus engagées. C’est parce qu’on est très riche sur le plan humain qu’on s’engage (par exemple Daniel Barenboïm, artiste totalement accompli qui s’engage pour la paix en Israël).

Parfois, c’est parce qu’on ne supporte pas telle ou telle chose qu’on va s’engager. C’est ce qu’on a appelé la capacité d’indignation. C’est parce que nous aimons l’humanité que nous allons faire quelque chose. Mais s’engager, c’est aussi une façon de se cultiver soi-même, comme on cultiverait une petite plante. C’est déterminer par sa liberté que le futur n’est pas écrit d’avance. L’engagement est une promesse qui donne de la joie, en accord avec des valeurs. Bien sûr en chemin, il peut y avoir des contraintes, de la douleur. Il y a dans l’engagement une part de devoir, de don de soi, mais aussi une part de gain (pas matériel), une part de joie. Par exemple, quelqu’un qui a une trajectoire de luttes sociales, il y rencontre des camarades, construit un environnement, un milieu humain. C’est un enrichissement non immédiat. On ne fait jamais les choses uniquement pour les autres, par pur altruisme.

Les autres, c’est moi aussi. L’autre fait partie de moi. Le « je » n’est strictement pas une invention moderne : Descartes (« je pense donc je suis »). Montaigne (qui parle de lui dans Les Essais). Platon, l’Odyssée (c’est l’histoire d’un homme individuel), même chez Confucius, on trouve du « je » et de l’individu. Mais l’homme en partie parce qu’il est un individu, recherche des liens, une identité collective, se reconnaître dans les autres. C’est donc une vieille histoire, qui se renouvelle selon les époques. C’est à moi de définir mes valeurs, mes engagements, cela donne une forme, une orientation au devenir de ma vie.

L’engagement est une responsabilité. Il se fait au risque de se tromper. S’il y a des raisons de s’engager, elles ne signifient pas l’assurance d’avoir raison. Nous ne sommes pas Dieu, nos engagements sont contingents. Ainsi, aucun engagement n’est en principe pour la vie, comme l’était par exemple, l’engagement monacal : ce serait nier le risque de se tromper. L’engagement social est une liberté, un exercice permanent de la liberté et de la responsabilité, qui contribue à l’accomplissement de notre humanité.