Exploration
Qu’est -ce que la liberté de conscience ? Est-ce que la laïcité est un principe ? Pour Condorcet, l’école devait être indépendante de l’état et des religions, c’était un principe. Arche en grec, c’est la science des commencements, des principes premiers. Cf archéologie. On retrouve arche dans : monarchie ; anarchie ; oligarchie. Le prince, c’est le 1° d’un peuple. C’est un peu étrange de dire « des principes », il ne devrait y en avoir qu’un seul. Les sociétés génèrent les principes ou les trouvent dans les mythes, dans des récits fondateurs, légendes ou moments de l’histoire. Un principe précède les autres lois (Cf Antigone). Un principe est hors du temps. Avant de parler de laïcité, il y avait une valeur : la liberté de conscience. Longtemps menacée et fragile, souvent écrasée sous les absolutismes et les régimes théologico-politiques. La philosophie du XVII siècle et plus encore celle des Lumières, l’ont mise au centre du système de valeurs moderne. Comment agir dans la société pour cette valeur ? La laïcité est une réponse.
En France, la laïcité s’est constituée contre la religion catholique principalement ; également contre les sectes. Dans les pays anglo-saxons, on parle plutôt de liberté religieuse, un grand pluralisme est de mise ; mais il faut dire qu’il s’agit d’une pluralité à l’intérieur du christianisme. La notion de tolérance est apparue à la fin des guerres de religions : il fallait arrêter de s’entre tuer. Le premier acte laïc, c’est la création de l’état civil en 1792. Avant, les registres étaient tenus par les paroisses. Ce n’était pas contre les religions, mais pour faire la distinction entre la sphère publique et la sphère privée. Il ne faut pas confondre en général, la laïcité et l’athéisme. La religion n’est pas niée, seulement elle n’est pas prise en compte dans le débat public.
Le mariage religieux, par exemple, n’est pas interdit mais il ne peut avoir lieu qu’après le mariage civil. Chacun peut pratiquer sa religion. Mais l’état n’en reconnait aucune. Il ne finance aucun culte. C’est la formulation à laquelle est arrivée la loi de 1905 : neutralité religieuse de l’État et séparation entre les églises et l’État. Aujourd’hui plusieurs facteurs font que la laïcité (ou ses manquements) semble poser des problèmes. Certains voient un lien entre les discriminations envers les femmes et la question de la laïcité. L’égalité hommes/femmes n’est pas respectée dans tous les pays. Même en France, l’entrée d’un bar a été refusée à des femmes. Il est raisonnable de distinguer les problèmes. Ce n’est pas forcément un manque de laïcité qui donne lieu à ces discriminations. Il y a des machos récalcitrants dans beaucoup de sociétés.
Mais il se trouve que la discrimination sexiste est illégale, c’est un délit, comme le braquage, le viol, c’est un problème de délinquance ; on n’a pas besoin d’invoquer la laïcité pour combattre ces délits. Elle ne gagne pas à être invoquée sur tous les fronts. La laïcité a pu être considérée comme une religion d’état. C’était le cas pour Auguste Comte, qui voulait fonder une « religion de l’humanité ». Même s’il y a encore une chapelle positiviste dans le Marais à Paris –les saints sont remplacés par des savants et scientifiques, ce n’est pas l’option que la République a retenue. Il y a une autre confusion fréquente : celle entre sécularisation et laïcisation.
Pour Marcel Gauchet, le catholicisme est « la religion de la sortie de la religion ». Jésus dit : « donnez à César ce qui revient à César », autrement dit, on ne doit pas mêler les affaires publiques et celles de la religion.
Il y a aujourd’hui deux interprétations de la laïcité, qui s’opposent : L’une correspond à un athéisme militant, aujourd’hui surtout anti islam. L’autre accorde à chacun le droit de pratiquer sa religion. La liberté de chacun s’arrête là où commence celle des autres, dit-on souvent. Mais Castoriadis a dit : « la liberté des uns commence là où commence celle des autres ». Pour Hegel, « un homme libre, c’est une conscience de soi qui ne peut être effective que face à une autre autoconscience libre ». Encore pour Bakounine, « la liberté d’autrui porte la mienne jusqu’à l’infini ». Enfin de comptes, ces interprétations de la laïcité diffèrent selon la place et la conception que l’on accorde à la liberté. Pour certains, la vrai laïcité serait d’interdire les religions, car elles sont dogmatiques, véhiculent des idées antiques et fausses. Pour d’autres, c’est tout le contraire : elle ne vaut que si elle est un instrument de liberté. Et la liberté implique aussi le droit de professer des idées qui ne plaisent pas à d’autres. Il faut revenir au texte de 1905 qui protège la liberté religieuse, selon l’inspiration plutôt d’ Aristide Briand. Il n’est pas du côté de la censure. Que vaudrait une liberté qui ne vaudrait que chez soi ? La laïcité peut être instrumentalisée par celui qui l’utilise, parfois pour provoquer ou intensifier des tensions. A l’école cela ne se passe pas si mal, les règles sont plutôt respectées. C’est plutôt en dehors des institutions de la République qu’il y a des tensions. Certains voudraient étendre les restrictions propres à ces institutions, comme l’interdiction de signes religieux ostensibles, à la voie publique.Il faut dire que dans d’autres pays, les signes extérieurs sont tolérés, sans grand conflits.
Un sujet qui fait peur en France, comme ce qu’on appelle « La charia », est pratiquée dans certains quartiers des villes du Royaume Uni. Mais il faut démystifier : il s’agit principalement d’interventions dans des cas divorces. Dans certaines cultures musulmanes, les hommes pratiquent la répudiation ; et la charia est plutôt une instance médiatrice, qui protège dans une majorité des cas les femmes.
On voit bien qu’il y a une image instrumentalisée pour faire peur. Même si en France, le droit ne peut pas être délégué à des communautés. Autrefois, en France, les curés réglaient les problèmes de voisinage, c’est un exemple du même type.
L’accusation, le soupçon et la thématique du « communautarisme » est encore une façon de faire peur aux gens. Mais que serait la liberté de conscience si les gens qui ont la mêmereligion n’avaient plus le droit de se rassembler, sous peine de se faire accuser d’être communautaristes ? En France, on se plaint de l’absence de lien social, de la solitude et de l’individualisme, qui isole, par exemple, les personnes âgées. Mais les gens qui pratiquent ce lien social ou familial sont mal vus ou soupçonnés de tribalisme. Un paradoxe étrange. S’il s’agissait véritablement d’un combat pour la liberté de conscience, il faudrait signaler qu’il n’y a pas que la religion qui lui porte atteinte. Il faudrait par exemple limiter la publicité, mettre un frein à l’omniprésence des marques… Mais on préfère l’option libérale : on garde la liberté de ne pas la regarder. La liberté de conscience ne peut exister qu’avec la liberté d’expression, de presse et de moyens de publication. Les idéologies peuvent limiter la liberté de conscience : il est indispensable qu’il y ait une multiplication de points de vue, un pluralisme effectif. D’un autre côté, que vaudrait la liberté d’expression sans liberté de conscience, de pensée ?
Synthèse et conclusion :
La démocratie est supérieure au totalitarisme parce qu’elle permet la liberté de conscience et la liberté de culte ; l’instrument de cette protection est la laïcité.
Il nous faut penser la laïcité. Quelle définition de l’espace public, à l’heure où certains n’ont pas de chez soi. Comment on pratique la laïcité ? Comment on l’enseigne ? Il faut la pratiquer sans peur de l’opinion d’autrui. En acceptant les différences.
Ce ne doit surtout pas être une lutte des non croyants contre les croyants. La liberté de conscience peut être mise en danger par bien des choses. La pensée unique, par exemple, (Qui peut dire aujourd’hui qu’on peut faire sans le retour de la croissance ?) Ou l’aliénation dans le consumérisme, l’inculture. La laïcité ne peut pas résoudre tous les problèmes, elle est nécessaire mais non suffisante. Il est facile d’aimer la liberté si c’est la sienne. Mais il faut l’aimer aussi pour les autres. Si je ne veux la liberté que pour ceux qui pensent comme moi, alors je suis dans une forme de communautarisme.
La liberté, comme la laïcité sont des paradoxes, des choses que nous n’arrivons pas à penser sereinement, ce qui nous montre que nous devons encore nous efforcer à les penser.