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CAFÉ-PHILO PHILOMANIA
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L’altruisme : imposture ou réalité ?
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Synthèse et conclusion

L’altruisme n’est-il qu’un égoïsme déguisé ?

Selon la définition, être altruiste, c’est être tourné vers les autres, être généreux et solidaire, en oubliant son intérêt personnel ; l’action altruiste est celle qui est désintéressée. La tradition remonte au 17e, bien que le mot soit tardif (Auguste Compte, 19e siècle). Des moralistes, comme Vauvenargues, La Rochefoucauld, ont assez tôt mis en question la possibilité de cette générosité désintéressée, suggérant qu’il s’agissait d’un égoïsme déguisé, autrement dit, une imposture.

L’altruisme a quelque chose à voir avec le don, mais pas forcément de quelque chose de matériel. Confère : bénévolat, don du temps, de l’attention…

Notre question peut se poser ainsi : Si on prend plaisir à faire quelque chose pour le bien de l’autre, est-ce encore de l’altruisme ? La Rochefoucauld dénonce le don fait pour se donner une bonne image. Pour Kant, il n’y a pas altruisme quand le but est de tirer un plaisir du don. Dostoïevski disait que le plus grand amour n’est jamais qu’un plus grand égoïsme. Le contraire de l’altruisme, c’est l’égoïsme. Quand on est altruiste, on n’attend pas de retour. Dans l’entraide, il y a une réciprocité, donc un bénéfice, cela ne peut pas être considéré comme altruisme. Le don sans retour, c’est la gratuité, la

grâce. C’est l’oblation. Est-ce un acte de foi ? Le contraire de l’altruisme, est-ce que c’est l’individualisme ? En fait la prise en compte des autres est graduelle, chacun va affirmer une part d’individualisme et une part d’altruisme. Le contraire de l’individualisme, c’est le collectivisme. L’individualisme, c’est le souci de l’individu, ce qui est différent du souci de soi et donc de l’égoïsme. Marx était éminemment individualiste. L’homme politique peut se dévouer à l’épanouissement de l’individu, mais de tous les individus. Ce à quoi s’oppose l’égoïsme des privilégiés. Quels sont les ressorts et les motivations de l’altruisme ? L’autre me pose une question métaphysique, l’autre m’interpelle. Confère Levinas. On est essentiellement porté ver l’autre. D’un autre point de vue, tout seul, on ne peut rien, d’où la théorie moderne du contrat social. Les sociétés évoluent, s’organisent. Une fois qu’on a le minimum, on n’aurait plus besoin de l’altruisme.

Il y a 2 formes d’altruisme :

– Moi j’ai, je voudrai que l’autre ait aussi (générosité, partage)

– Je m’oublie, je veux que l’autre ait (oblation)

Est-ce que cette deuxième forme est obligatoire pour parler d’altruisme ?

Pour ce qui est de l’imposture, il peut y avoir aussi une notion de pouvoir : j’aide les autres, mais on m’accorde de la reconnaissance (par exemple, je me fais photographier en transportant des sacs de riz ☺), du prestige, les autres seront mes obligés. C’est une forme du système de don et contre-don.

Mais, lorsqu’on est altruiste, on peut recevoir quelque chose, retirer un bien, un bien-être par exemple, mais ce quelque chose n’est pas la motivation.

Les « justes » qui ont sauvé des juifs au péril de leur vie, disaient en général que c’était normal d’agir ainsi, qu’ils ne pouvaient pas rester sans rien faire. Ne rien faire, c’était une saloperie. Il y a des cultures ou la notion de famille est importante et implique, par exemple, un don de soi pour s’occuper des ancêtres, et on les a en tête quand on s’occupe des autres. Cela parait naturel aux membres de ces sociétés. Cela nous éclaire sur l’individualisme : il y a un contraste entre les sociétés individualistes et les sociétés « holistes ». Certains théoriciens extrême-orientaux appellent cela les « valeurs asiatiques ». Néanmoins, il n’est pas exact de dire que c’est naturel. Car, justement, c’est culturel.

L’altruisme est un mot un peu désuet aujourd’hui. On parle davantage de solidarité. Il serait intéressant de chercher à savoir pourquoi… Peut-on utiliser le même mot pour l’altruisme tapageur et l’altruisme discret ? Pour certains, seul le don anonyme est un vrai don. Sinon, on rentre dans le système de don et contre don, une économie du don, où rien n’est désintéressé.

L’altruiste, comme le pacifiste, se fait traiter souvent d’idéaliste, de doux rêveur. On pourrait rétorquer que celui qui ne croit pas à l’altruisme, c’est simplement qu’il n’est pas altruiste. De même saint Augustin disait qu’il fallait croire en dieu pour comprendre.

Est-ce qu’on nait altruiste ou est-ce qu’on le devient ?

On ne pourra jamais résoudre la question de l’inné et de l’acquis, mais on peut dire que l’enfant est tourné vers lui-même, c’est l’éducation qui le rend altruiste. On nait égoïste, mais en grandissant, certains développeront l’altruisme, d’autres non. Sans empathie, on ne peut pas connaître les besoins de l’autre. C’est important, car si on apporte une aide inadéquate, est-ce encore de l’altruisme ? Pour Kant, la réponse est oui, car c’est la bonne volonté qui compte. Il est loin de l’utilitarisme ou du conséquencialisme, qui s’attacherait à évaluer le résultat final des actions, une aide inadéquate, qui peut être contreproductive, n’a pas de valeur morale.

Pourtant, il faut être circonspect avec l’empathie : dire qu’on se met à la place de l’autre, c’est une prétention. Selon les philosophes de l’altérité (Cf. Levinas), on ne connait jamais complètement l’autre, on ne peut donc se mettre à sa place.


Le mot compassion est plus fort : « pâtir avec ». Mais si l’on « soufre avec », l’aide apportée soulagera aussi cette souffrance, donc le bienfait retiré sera consubstantiel à l’action… La compassion ne résout pas non plus le problème.


Il y a des gens qui risquent leur vie pour sauver l’autre. Est-ce que nous avons cela en nous ? Tout le monde ne le fait pas. Il y a aussi la question du courage. Il y a une décision morale : si on n’agit pas, c’est dégueulasse.

Les psys sont payés : est-ce que cela supprime l’altruisme ? Pourquoi les gens font de l’humanitaire ? L’élan altruiste peut conduire aux métiers de soin – « s’occuper » des autres –, à l’engagement politique. Le problème est que l’égoïsme ou des intérêts personnels peuvent aussi y conduire. On ne sait pas en principe quelle est le mobile de la volonté d’autrui Il existe des actes altruistes. Mais souvent on les disqualifie parce que la dimension altruiste est mêlée à autre chose. Pourquoi exigerions-nous la pureté ? S’il y a un contre don –il pourrait ne pas être attendu – est-ce que cela annule le don ?

Conclusion

Il peut y avoir un bienfait, la reconnaissance qu’on se donne à soi-même. Ou, à l’inverse, si on ne le fait pas, on est en contradiction avec une valeur qu’on considère importante, on veut pouvoir toujours se regarder dans la glace. On pourrait dire qu’une action est altruiste, quel que soit le bénéfice qu’on en retire, si ce bénéfice n’est pas le ressort essentiel de la volonté, c’est le but initial de l’action qui compte : cette action est d’abord pour autrui. Il faut considérer le moment de la décision, de la délibération intérieure, quand le désir de faire le bien devient la volonté de le faire : si c’est ce désir de faire le bien qui prime, quels que soient les bénéfices secondaires, alors il y a altruisme Mais si le bénéfice qu’on va retirer est la motivation primordiale, alors il y a en effet imposture. et mystification.

L’homme toujours est dans un passage entre la guerre et la paix, l’ignorance et la culture ; de même, l’égoïsme et l’altruisme sont présents dans toute action.

Évaluée dans l’absolu, une action bonne, même de façon infinitésimale, améliore le monde (sinon, comment serait-elle bonne ?) ; or c’est le même monde de celui qui exécute l’action. Il est donc théoriquement impossible qu’in ne retire aucun bénéfice. L’altruisme pur et total est donc une impossibilité logique.
Mieux vaut donc peut-être confier – c’est l’acte de foi – qu’une dose (et non pas la totalité) de véritable altruisme est réellement présente dans les actions bonnes.