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CAFÉ-PHILO PHILOMANIA
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La liberté est-elle l’ennemi de la démocratie ?
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La liberté est-elle l’ennemi de la démocratie ?

Cette formulation est un peu étrange, la personne qui l’a proposé a expliqué qu’elle pensait aux élections aux USA, où Trump a eu la liberté de dire n’importe quoi et cela a nuit à la démocratie. En réalité, Trump n’a pas dit n’importe quoi : il a tenu des propos simplistes, xénophobes, racistes et sexistes. Faut-il censurer ? Comment sélectionner les opinions valables ? Expliquer la complexité prend beaucoup plus de temps que les petites phrases. De plus, pour expliquer la complexité, il faut déjà la comprendre : on peut se demander si le personnel politique en est capable ? Mais nous vivons dans une société « libérale ». La liberté d’opinion est basée sur le fait que nous ne possédons pas la vérité : les opinions contraires sont bienvenues. Pour Karl Popper, cette idée est même la base de l’épistémologie : si une opinion ne peut pas être réfutée, c’est qu’elle n’est pas scientifique. En principe, n’importe quelle opinion devrait pouvoir être exprimée, vu qu’elle peut être réfutée, et si elle ne peut pas l’être, c est qu’elle relève de la conviction personnelle, comme la croyance religieuse, par exemple. Faut-il donc accepter toutes les idées ? Même celles anti-démocratiques ? Car, une des faiblesses de la démocratie, c’est qu’elle oblige les démocrates à accepter les idées antidémocratiques. Ce n’était pas l’avis de Robespierre, qui disait : « pas de liberté pour les ennemis de la liberté ».

Pour Rousseau, la volonté populaire une fois exprimée ne pouvait pas être contredite. Il y a donc un germe de totalitarisme à l’origine des républiques. C’est pourquoi, les penseurs libéraux comme Benjamin Constant ou Tocqueville étaient contre la tyrannie, y compris la tyrannie de la majorité qui peut écraser l’individu ou une minorité, imposant des opinions, une « pensée unique », ses préférences. Il s’agissait d’éviter que celui qui a été élu utilise cette légitimité populaire pour instaurer une forme de tyrannie. Mais le processus électif n’est pas à la base de la démocratie. Elire : cela renvoie à la notion d’aristocratie. La démocratie passerait pourrait passer plutôt par le tirage au sort. Il s’est un peu pratiqué : à Athènes, à Florence. L’élection majoritaire perpétue une oligarchie qui se considère de fait comme une aristocratie. La recherche de nouvelles formes de démocratie aujourd’hui tend à éviter cette dérive, qui mine la confiance et la légitimité des pouvoirs électifs.

Mais sans liberté d’opinion on ne voit pas comment une démocratie pourrait être digne de ce nom. Plutôt que la liberté, l’ennemi de la démocratie c’est plutôt l’ignorance et la paresse intellectuelle. En Afrique on fait voter des gens qui ne savent ni lire ni écrire.

Il faudrait d’abord éduquer. Mais cela n’est pas sans poser des problèmes : en Afghanistan, ce sont les écoles coraniques et les talibans qui ont en charge l’éducation, et y dispensent un enseignement fondamentaliste. Comment faire pour que l’éducation ne soit pas dispensée par ceux qui ont le pouvoir ? En France aussi, il y a des problèmes : l’enseignement est médiocre, l’école est inégalitaire. La société se donne les moyens d’éduquer les gens en fonction des besoins principalement économiques et de l’emploi (sans trop de succès non plus), et non pas prioritairement pour la formation de citoyens responsables. Il faut aussi, pour ne pas se laisser manipuler, être bien informé. Les moyens d’information sont multiples. Mais il faut regarder à qui ils appartiennent… – sont-ils neutres ?

Les moyens d’expression ne sont pas accessibles à tous : aujourd’hui il n’est pas possible de se faire entendre en dehors des partis, du cadre. Et les partis sont financés par certains… Comment s’exprimer de façon non démagogique ? Il y a eu des hommes politiques non démagogues, comme Michel Rocard, mais cela ne lui a pas trop réussi. Rien ne garantit la coïncidence entre la capacité de plaire au plus grand nombre – qui peut venir en effet d’une sorte de démagogie– et la capacité de gouverner. On parle beaucoup de démocratie participative. Mais il est impossible de réunir tous les citoyens. Il faudrait réduire la structure de base au niveau où on peut rassembler tous les citoyens.

Lorsqu’il y a captation du système représentatif par une classe sociale, ou une sorte de caste, la démocratie devient une dictature cachée. Que signifie « représentant » ?
« Représenter » c’est rendre présent ce qui est absent.
Si on est « représenté » c’est qu’on est absent. Il faut avoir beaucoup de confiance en celui auquel on donne son pouvoir. Pourtant, les décalages entre les programmes et les réalisations sont parfois si énormes… cela a généré l’idée d’un corps de contrôle de l’application du programme. Cela pourrait être une chambre dont les membres seraient tirés au sort. On pourrait imaginer un système de points avec un seuil qui obligerait l’élu qui se serait trop écarté de son programme à remettre son mandat en cause.

Plus fondamentalement, pour être libre, il faudrait participer à l’élaboration des lois. Ou de la constitution. Mais de tels moments sont rares : l’assemblée constituante, le Conseil National de la Résistance.

Peut-être faudrait-il élire des « délégués » plutôt que des représentants. L’élection parait plus légitime pour les questions qui relèvent de l’expertise, mais la politique n’est pas une science. Le tirage au sort serait justifié si la politique est affaire d’opinion. Peut-être faudrait’il faire voter sur les lois plutôt que sur les individus. Bref, beaucoup de configurations différentes sont possibles. Est-ce que la démocratie est apte à garantir la liberté ? Pour Fukuyama, la démocratie libérale, qui marque « la fin de l’histoire » est plutôt le règne de l’ennui. Il n’y a plus d’enjeu, plus de passions. La démocratie permet-elle de construire le bien commun ? Permet-elle l’épanouissement de la liberté individuelle ? Il faut que chaque citoyen ait la même liberté que les autres. Si une liberté en écrase une autre, la démocratie ne fonctionne plus. La démocratie est LE grand problème des hommes majeurs. Mais la majorité d’âge, si l’on croit Kant, devrait coïncider avec le fait d’être capable de se servir de son propre entendement de manière autonome. La liberté est certes, essentielle, mais elle doit pouvoir se nourrir du savoir, et de l’information. Il faut une éducation citoyenne efficace, et aussi résoudre le problème de l’information : Comment faire pour que les medias appartiennent à des groupes différenciés ? Et aborder la question des institutions et de la représentativité ? La société a 2 buts : le bien commun, la liberté de l’individu. A nous de fixer les règles : c’est la marque de l’autonomie. Nous connaissons une version de la démocratie. Il faut en expérimenter d’autres formes. Et, justement, pour qu’il ne soit pas possible de se demander si « la liberté ne serait pas l’ennemi de la démocratie », et que la liberté soit effectivement le fondement de la démocratie, cette dernière doit continuer à se chercher, à s’approfondir. Se mettre à l’abri des « accidents » qui la conduisent vers des leaderships délétères propulsés par la démagogie, et se mettre au service du peuple, qui doit être présent et non pas seulement « représenté ».