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CAFÉ-PHILO PHILOMANIA
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La justice n’est-elle que celle du plus fort ?
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Qu’est-ce que la justice: une institution ? Un concept ? Ou la justice distributrice ? Y a-t-il la

possibilité d’une réelle impartialité ? Ou forcément un parti pris ?

Historique

Pour les grecs, la justice vient des dieux qui interviennent pour réparer un déséquilibre. Dans la bible

il y a le roi Salomon, dont on connait l’épisode de son « jugement salomonique ». Moise aussi disait

la loi. Dans les civilisations antiques, c’est la même figure, le magistrat, qui dit le juste et le roi, qui

administre la cité.

Les institutions spécifiquement judiciaires se sont constituées avec le droit romain. Les romains

étaient fascinés par les questions légales. Au Moyen Age arabo-andalou, les sages étaient aussi

magistrats : Maimonide et Averroès.

La justice trouve sa légitimité dans l’ordre. L’ordre a d’abord été divin, puis naturel, puis humain. Si

l’ordre devient humain, alors il est concevable qu’il puisse être considéré comme celui du plus fort.

Le groupe qui a le pouvoir définit un ordre, et donc un tabou. S’il y a transgression, le transgresseur

s’attire les foudres de la justice. La transgression peut devenir à un moment résistance. Le tabou est

central en anthropologie. Mais les sociétés évoluent, le tabou transgressé devient possible et

d’autres tabous naissent.

Comment savoir si un ordre est juste ?

L’ordre peut être injuste, par exemple, le système de castes en Inde ou l’Apartheid en Afrique du

Sud. Mais pour juger si l’ordre est juste, il faut se référer à quelque chose d’extérieur à la société

concernée, à quelque chose de transcendantal et transhistorique.

Ce peut-être des valeurs humaines. Mais est-ce qu’il existe des valeurs humaines universelles ?

La justice, c’est l’application et l’interprétation d’un code, écrit à un moment donné, dans une société

appelée à changer. Il faut s’interroger sur les idées qui ont présidé à l’élaboration des lois et sur les

pratiques, il faut interroger les écarts. Par exemple, en France, la Constitution dit que tous les

hommes sont égaux. Dans la pratique c’est différent.

La répartition ou la distribution constitue un élément fort de la justice.

Nous disons intuitivement : « c’est pas juste ». Il y a une préconception de la justice, notamment

chez l’enfant, qui utilise fréquemment cette expression. La plus part du temps, cela concerne la

distribution des biens et l’attribution de privilèges.

Qu’est-ce qu’un droit ?

Á quoi avons-nous droit ? Est-ce que la justice, ce serait une distribution de tout ce qui répond aux

besoins fondamentaux ? Mais comment définir alors le droit à l’éducation, à la culture ?

Un droit, ça s’exerce : j’ai un certain nombre de droits, cela veut dire que j’ai la liberté d’en user ou

pas. On parle de « droit-liberté ». Un droit, c’est une liberté acceptée, acceptable. Mais nous n’avons

pas toutes les libertés.

Il y a des droits qui ne sont pas des libertés, comme le droit à la sécurité. Au niveau collectif, le droit

à la protection des faibles, c’est un devoir de protection pour les autres. Une liberté, on l’exerce ou

pas. Le devoir commande.

Un droit est un bien qui doit être le même pour tous, un atout pour la poursuite de la vie ou son

amélioration. Un atout n’est pas un avantage : un avantage donnerait une supériorité.

Il y a la question de l’universalité de la justice : dans un ordre abstrait, un droit devrait être un droit

pour tous. Pourtant un député peut voter une loi, mais pas un citoyen. C’est la question de la

démocratie et le principe du contrat social : nous acceptons de renoncer à certains droits pour que

l’ordre de l’ensemble soit plus solide.

Il y a beaucoup de choses à répartir, et pas seulement l’argent. La répartition de la terre ou de l’eau,

c’est très ancien. En lien avec la répartition, il y a le concept d’appropriation et d’appropriabilité, qui

a même été appliqué à l’homme du temps de l’esclavage. Nous avons des droits (quoi que non sans

encadrement) sur ce qui nous appartient. Ainsi, la question est celle des limites de ce qui est

appropriable pour que ce ne soit pas injuste.

La justice et l’inégalité

Si les inégalités se creusent, ce qui semble être un constat actuellement, c’est que la justice est celle

du fort.

La justice est en lien avec les lois, élaborées par l’Assemblée Nationale : le biais arrive par les élus.

A la base de l’autonomie, il y a la rationalité. Le peuple est constitué d’êtres rationnels. Jusqu’à quel

point ? L’homme est fragile à cause de ses passions. Il faudrait une intelligence non humaine pour

que cela marche dans tous les cas. Aujourd’hui, on voudrait une justice vindicative, qui fait appel à

l’émotion. Et c’est très facile de manipuler la vindicte populaire.

La justice n’est pas la justice des forts tant que la force trouve un contre-pouvoir en face et que des

institutions justes oeuvrent pour l’équilibre. Il faut empêcher qu’un pouvoir soit seul en question.

Celui qui applique la justice devient partie prenante. Le pouvoir de la majorité ne garantit

absolument pas la justice.

La justice présuppose que nous sommes capables d’un optimum de rationalité. Mais c’est toujours

en défaut. Il y a la question de la probité des représentants. La corruption n’existe pas qu’en

politique. Mais elle est beaucoup plus choquante en politique car les politiques ont le devoir

d’incarner la rationalité des peuples pour s’occuper justement de ses droits.

La démocratie n’est jamais aboutie. La justice n’est rien de définitif. Elle a toujours à voir avec une

société donnée à un temps donné. La justice n’est pas encore, elle est en partie juste et en partie

injuste.

Est-ce qu’une justice pourrait ne plus être injuste ?

Une société juste serait une société égalitaire, mais à quel point de vue ?

Pour Kant, il y a le critère de l’universalité. Si nous nous interrogeons sur un principe demandonsnous

s’il est universalisable. Par exemple, si nous mentons. Mais le mensonge trompe la confiance. Si

tout le monde mentait, il n’y aurait plus de confiance, donc cela ne fonctionnerait plus – mentir

n’aura aucune utilité. Le mensonge n’est donc pas universalisable. On pourrait s’en inspirer pour les

lois.

Pour le philosophe américain John Rawls, (bien que libéral, il se fait traiter de gauchiste), l’égalité

totale étant impossible et non souhaitable, une inégalité résultante des différences des places

occupées dans une société, est acceptable à 2 conditions :

– Que ces places soient accessibles à tous

– Que les inégalités résultantes soient au bénéfice des moins bien lotis.

Par exemple, dans une entreprise on donne un salaire supérieur au PDG s’il a conduit efficacement

l’entreprise au bénéfice des moins bien lotis (amélioration des conditions de travail, augmentation de

salaires … )

Il faudrait aussi ce que Rawls appelle un voile d’ignorance : que les personnes qui font les lois soient

dans l’ignorance de qui elles seront et des places qu’elles vont occuper dans la société : alors elles

édicteraient des lois justes parce qu’elles ne sauraient pas où elles vont être placées. Ce serait la

position idéale.

Mais il s’agit d’une image de quelque chose qui semble inapplicable, car les gens qui édictent les lois

savent parfaitement les positions qu’ils vont occuper, on est donc loin d’une justice définie par une

stricte rationalité dans l’intérêt de tous.

Conclusion

La justice est encore celle du plus fort parce qu’on n’a pas trouvé de contre-pouvoir, dans un certain

nombre des aspects.

C’est parce que nous avons des droits que nous sommes indifférents vis-à-vis de ceux qui n’en ont

pas ?

La justice n’est rien de définitif, toujours d’une époque et d’une société donnée. C’est une tâche, un

levier puissant: c’est un défi, un questionnement, qui ne doit pas se limiter à constater qu’en bien

des cas, la justice est celle du plus fort, mais qui doit conduire à réfléchir sur ce qui pourrait l’

empêcher de continuer de l’être.