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CAFÉ-PHILO PHILOMANIA
CAFÉ-PHILO PHILOMANIA
Doit-on toujours dire la vérité ?
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Pour se poser la question, il faut d’abord penser qu’on détient la vérité. Est-ce qu’on possède la

vérité pour la dire ? Si dans le domaine scientifique, le contraire de la vérité c’est l’erreur, en philosophie morale, dans le domaine de l’éthique, le contraire de la vérité, c’est le mensonge. Certains se demandent même si LA vérité existe… La vérité d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui, ni celle de demain. Et ne dit-on pas, « vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » ? Il y a un relativisme historique et un autre culturel. Mais la multiplicité des perceptions du monde n’implique pas qu’il n’y ait pas la vérité (du moment, du lieu…). Le relativisme existe au niveau de la connaissance, mais pas au niveau moral. Quand on se demande s’il faut dire la vérité, c’est de la vérité ici et maintenant dont il s’agit. Le relativisme n’annule pas qu’il y ait mensonge.

Il ne faut pas confondre vérité et réalité, ni encore véracité. La véracité, d’abord, c’est la vertu qui consiste à dire la vérité. La réalité, c’est ce qui est, (réel vient de « res », la chose). Et ce qui est, n’est ni vrai ni faux. La vérité, c’est de l’ordre de la pensée et du langage. Il est vrai l’énoncé du langage qui dit ce qui est, c’est la correspondance entre l’énoncé intellectuel et la chose. Le mensonge est un énoncé qui tend à dissimuler ce qui est. C’est dire autre chose que la réalité en ayant conscience qu’on dit autre chose.

La fausse promesse est un type de mensonge. Nous avons la liberté de mentir : est-il légitime de le faire ? Un fait étonnant, qu’on vérifie à chaque fois : Personne ne pense qu’on doit toujours dire la vérité. Quand faut-il la dire ? Veut-on toujours entendre la vérité ? Il y a des personnes qui ont le devoir de ne pas révéler la vérité : cf secret médical, secret défense, avocats …Une société sans secrets serait-elle concevable ? Peut-on mentir si on n’a pas la vérité, si on ne sait pas ? L’un des plus gros mensonges politiques des dernières années fût celui de Tony Blair à propos des armes de destruction massive en Irak : il n’avait pas l’information, mais a prétendu l’avoir. En l’occurrence, il y aurait pu y avoir de telles armes, mais il n’y en avait pas. Ainsi, affirmer qu’il y en avait (à l’époque) était une erreur, mais affirmer qu’on en avait la preuve, était un mensonge. Dans le domaine médical, en cas de maladie grave, il faut de la sensibilité pour sentir si le malade veut vraiment savoir la vérité. Les médecins ne sont pas forcément formés en psychologie. Il peut y avoir un déni de la vérité ; par exemple les enfants qui refusent la non existence du père Noël.

Le mensonge peut venir de l’inconscient, mais si on n’est pas conscient, ce n’est pas un mensonge. Le menteur sait qu’il ment. Celui qui est dans l’erreur ne le sait pas. Il y a une vertu de la vérité par rapport à la justice, en dehors de la question de la peine : cf commission « Vérité et réconciliation » en Afrique du Sud. Est-ce que dire la vérité est un idéal moral ? La quête de la vérité un idéal ? Cf Kant : « sur un supposé droit de mentir. Controverse avec Benjamin Constant ».

Exemple : quelqu’un, poursuivi par des truands, se réfugie chez moi. Les truands frappent à ma porte. Si je leur dis la vérité, les truands vont tuer celui qui s’est réfugié. Mentir est une faute morale. Mais dans ce cas, ne pas mentir aboutit à un crime.

L’intention est importante : dire la vérité, dans quel but ? Si l’intention est bonne, est-il légitime de mentir ? Oui, si la valeur pour laquelle on ment est supérieure à la vérité. C’est le cas du résistant qui ne révèle pas le nom de ses camarades.

Pour Kant, la vérité et les promesses tenues sont à la base d’un certain fonctionnement, de la confiance. Si personne ne tenait ses promesses, on ne ferait plus confiance. Dire qu’on peut s’autoriser à mentir, est contradictoire, car si personne ne disait la vérité, le mensonge serait inefficace, on n’en obtiendrait aucun profit et cela rendrait impossible le fonctionnement de la société.


Mais la position de Kant, bien que logique, ne tient pas debout si on songe aux persécutions des nazis, par exemple. Comment résoudre ce problème ?

On pourrait dire que tout le monde ne mérite pas la vérité. Ainsi, mentir à une police politique qui persécute des innocents, d’une certaine façon n’est pas mentir, ces personnes ne méritent pas la vérité, car leur projet est meurtrier. Faut-il dire la vérité dans les relations humaines ? Faut-il dire la vérité sur soi ? Le propre de l‘amitié, c’est de pouvoir dire la vérité et toute la vérité.


Se pose la question de la hiérarchie des valeurs. Le tact, la diplomatie sont des vertus. La véracité est une vertu. Mais si on accorde plus de valeur au tact qu’à la véracité, alors, c’est de l’hypocrisie. Avec les réseaux sociaux et l’internet, on a une telle profusion d’informations qu’on peut penser que la vérité disparaît. En fait, elle ne disparaît pas, mais c’est l’amour de la vérité qui se perd. Exemple de la photo d’un torero qui a eu un malaise, présentée comme celle d’un torero bouleversé d’avoir croisé le regard du taureau. La légende est fausse, « mais c’est pour la bonne cause », dit-on.


Peut-on mentir pour la bonne cause ? Mais si le mensonge devient la règle sur les réseaux sociaux, plus personne ne croira ce qui s’y dit. Dans ce cas, c’est encore Kant qui a raison. Il y a une perte du souci de la vérité sur les réseaux sociaux. Ils facilitent la confusion entre la vérité et la réalité. En général dans notre culture où prime l’image, ce qu’on voit est donné comme un fait, mais tout le monde sait que la photo peut être truquée.

Les gens se détournent de la politique à cause des mensonges des dirigeants et des promesses non tenues. Quand les politiques mentent, ils doivent s’attendre à ce que les gens ne votent plus (pas seulement ne votent plus pour ceux qui ont menti, mais n’aillent plus voter pour personne). Pour Kant, une société ne peut fonctionner que si le mensonge reste une exception. En revanche, comment imaginer une société ou tout énoncé serait vrai ? Ce serait le pays des anges. On le paierait de la liberté : les anges ne sont pas libres. Dire la vérité n’a de valeur que parce qu’on pourrait mentir. Il y a un moment où les enfants ont besoin de mentir pour tester leur liberté, pour se construire.

Y a-t-il une valeur du secret et de l’omission ? On n’a pas à tout dire, surtout quand les gens ne méritent pas qu’on leur dise la vérité (exemple des persécuteurs nazis). La véracité dépend des autres qualités morales : elle a parfois besoin du courage, les mensonges pieux sont plus faciles à accepter et des tromperies collectives sont commodes à adopter. Si la vertu de dire la vérité, en général est la véracité, dans les relations personnelles proches, cela s’appelle, la sincérité. Mais, on ne peut être sincère qu’avec les gens ouverts d’esprit. Dans le doute, il vaut parfois mieux garder le silence. Mais si les motifs de ne pas dire la vérité sont purement égoïstes et intéressés, alors on perd le –très relatif – droit de mentir. On peut mentir ponctuellement pour une cause qui corresponde à une valeur supérieure à la vérité. La vérité se mérite.

Mais il faut aussi la protéger, la vérité, elle est fragile : c’est une des choses les plus fragiles. Il faut donc la chercher, la protéger, parfois lutter pour elle. La première victime d’une guerre, dit-on avec raison, c’est la vérité. Or nous vivons une guerre d’information. Il est donc de grande importance de se sensibiliser avec ces distinctions autour de la vérité, l’erreur, le mensonge, la dissimulation, l’hypocrisie, la sincérité, la véracité, le courage et le droit à la vérité…