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CAFÉ-PHILO PHILOMANIA
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Comment résoudre la contradiction qui existe entre la sécurité et la liberté ?
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Comment résoudre la contradiction qui existe entre la sécurité et la liberté ?

Synthèse et conclusion du café-philo du 12 Janvier 2016

La sécurité, dit-on, est la première des libertés. Est-ce certain ? Il arrive que la peur, la terreur déclenchées par la violence, inspirent souvent des mesures attentatoires aux libertés. Comment articuler la sécurité et la liberté ? On essayera de faire en sorte que le débat reste philosophique et non politique. Mais la sécurité, et le sentiment d’insécurité sont des faits relatifs. En 1930, on risquait beaucoup plus de se faire assassiner, ou d’être guillotiné qu’aujourd’hui. Et pourtant, cela fait 20 ans qu’on nous parle d’insécurité. Pour les gens qui sont assiégés à Alep, s’ils pouvaient se déplacer vers une ville voisine, ils s’y sentiraient en sécurité alors que nous y serions extrêmement inquiets. Nous vivons dans une société qui n’aime pas le risque. Tout doit être sécurisé, voire assuré. Nous sommes inquiets vis-à-vis de la sécurité alimentaire ou du changement climatique. Mais ces phénomènes étant engendrés par nos copains, nos « alliés » ou les régimes que nous avons-nousmêmes choisi, on ne fait pas grand-chose. On réagit différemment face aux attentats. La menace se présente comme une altérité. Nous vivons dans une société de protection, de paranoïa, une société d’assurances.

A chaque évènement dramatique on fait une loi.

La sécurité, c’est comme une boîte à l’intérieur de laquelle on peut se déplacer mais on finit toujours par se heurter à un mur. Cf les « panic rooms », qui sont des pièces blindées, avec un maximum de sécurité, avec des procédures extrêmement complexes pour l’ouverture. Elles protègent efficacement mais elles enferment. La sécurité passe par la surveillance et cela aussi pose problème. Pour être libre, nous avons besoin d’une certaine dose de secret, d’intimité. Avec les réseaux sociaux, on se sent vite ciblés, mais c’est pour nous vendre quelque chose, et d’ailleurs c’est consenti. Cela ne semble pas très grave, même si c’est très désagréable. La surveillance des communications personnelles, c’est tout autre chose. C’est une atteinte à l’intimité. L’existence humaine a besoin d’intimité. Pourtant sans cette surveillance, il peut y avoir des morts. Mais comment trouver ce qui est répréhensible sans surveiller tout ?

Répréhensible, pour qui ? Pour quoi ?

Il y a des gens qui veulent tuer les autres, c’est un fait, et il y a un consensus pour dire que c’est mal. On met en place la surveillance pour empêcher les tueries, mais la surveillance va détecter aussi la fraude bancaire, et bien d’autres choses. On met un doigt dans l’engrenage, vers l’état policier, totalitaire. Il y a eu dernièrement 3500 perquisitions de nuit et seulement 2 enquêtes pour terrorisme.

Dans la Tunisie de Ben Ali, on était en sécurité. Mais les tunisiens n’ont pas voulu de cette sécurité que détruit la liberté. Depuis le Moyen Age, on recherche la protection : celle du chevalier, puis du seigneur, puis celle du roi. Pour les sociétés autonomes, nous devons assurer nous-mêmes notre protection. Selon la vieille théorie du libéralisme – très différente de l’ultralibéralisme – apparue après les guerres de religion, l’état ne détient pas la vérité sur le bien, et ne doit donc pas s’en occuper. Pour Hobbes, la base de la construction de la société, c’est la peur, notamment d’être tué. Selon le mythe de l’état de nature, l’homme est un loup pour l’homme, c’est la guerre de tous contre tous ; il faut donc une protection. L’état doit être suffisamment fort pour faire davantage peur. C’est le Léviathan. Cette conception est encore bien vivace dans les inconscients collectifs. Pour Rousseau, au contraire, l’homme est bon dans l’état de nature, c’est la société qui corrompt.

Qu’est-ce qu’on veut protéger ? Si le risque augmente, nous restreindrons de nous-mêmes nos activités. Il faut donc une certaine dose de sécurité pour assurer la liberté. Mais quel type de sécurité pour quel type de liberté ?

La surveillance de masse produit une masse d’informations inexploitable en l’état. Si on veut écouter tout le monde, il faut faire de chaque citoyen un espion. La SNCF, suite à la tentative d’attentat dans le Thalys, a mis en place un numéro pour recevoir des dénonciations anonymes, mais il faut être géo

localisé, donc tracé à son tour. Le pouvoir judiciaire est un contre-pouvoir. On profite de l’émotion du peuple pour prendre des mesures, et plus l’émotion monte, plus on va prendre des mesures, et faire des lois. Jusqu’où ? Problème supplémentaire : que vont devenir ces lois dans d’autres mains, avec un autre type de gouvernement ? Chaque fois que quelqu’un croit savoir où est le bien, il en résulte une réduction de la liberté. Au Japon, il n’y a ni insécurité, ni surveillance. Le vol à la tire et autres incivilités n’existe pas, n’est simplement pas dans leurs moeurs. C’est la culture qui rend le flic inutile.

Nous sommes influencés par tout ce qui nous entoure. Toutefois si l’influence n’est pas totale, alors, la liberté existe. Que vaut la vie humaine, sans la liberté ? Si nous tenons à la vie, c’est parce que nous croyons à la liberté. Pourtant on dit parfois que la vraie liberté n’existe pas. Pour Spinoza, par exemple, la liberté n’est pas le libre arbitre mais de ne pas succomber à ses passions.

Pour certains, la preuve que l’homme est libre, c’est l’existence du mal. Les anges ne sont pas libres. La philosophie est un exercice de radicalisation permanent. Il faut aussi penser la liberté radicalement. On doit reconnaître par exemple que la liberté produit elle-même l’insécurité puisqu’elle nous permet de faire le mal. La liberté de se donner à soi-même une loi, c’est l’autonomie. L’insécurité est consubstantielle à la liberté, la liberté implique le risque. Notamment le risque de sortir de la norme. Selon Kant, si nous voulons tout ce que nous voulons, alors nous ne sommes pas libres, mais esclaves de nos penchants. La liberté pour exister doit être autorégulée et autolimitée. Une liberté sans limites, c’est l’hubris des grecs, la démesure.

Conclusion

L’état est nécessaire pour assurer une certaine protection. Mais la liberté implique l’insécurité. Il faut protéger la société et non chaque individu. Si on protège l’espace public, l’individu a une zone de protection, mais aussi un espace pour l’intimité. Aucune société n’existe sans lois, c’est un moindre mal. Où que l’on place le curseur, il ne sera jamais bien placé pour tous. On n’a jamais trouvé mieux que la démocratie pour décider où mettre le curseur. Le pouvoir judiciaire est important pour assurer un contrôle, un contre-pouvoir. Avec la démocratie, on peut se tromper, et il faut l’assumer. La clé de la sécurité, sans que cela dérive en tyrannie, c’est la démocratie. Ce n’est pas l’homme en tant que tel qui doit être protégé, c’est l’homme libre. Si la protection détruit la liberté, alors elle détruit ce qui mérite d’être protégé chez l’homme, elle se contredit elle-même.

La liberté doit être autorégulée : il ne faut pas donner la liberté à un homme non autonome (par exemple manipulé par une mafia ou une secte terroriste). Mais pour trouver ceux qui ne méritent pas la liberté, il faut une surveillance, avec le risque d’un état totalitaire. Cette antinomie ne semble pas pouvoir être résolue de façon optimale. Il y a des lieux, comme au Mexique, où il y a énormément de policiers, mais ils sont presque tous corrompus, et la société se désintègre. Seule la démocratie, donc, avec des institutions justes et transparentes, avec équilibre de pouvoirs et contrôle des citoyens, peut assurer la sécurité des hommes libres et autonomes, la seule qui vaille la peine. Mais tout comme une liberté totale n’est pas concevable, une sécurité totale ne l’est pas non plus. Ce sera toujours un degré de liberté et un certain degré de sécurité, c’est pourquoi le choix doit revenir aux citoyens.