Dans la société de consommation, nous sommes esclaves de notre volonté d’acheter. Il ne semble
donc pas que le désir soit source de liberté
Qu’est-ce qu’être libre ? Serait-ce de résister à la tentation, à nos pulsions ? Mais être libre, dans
l’opinion courante, c’est « faire ce que l’on veut ». Pourquoi donc, y aurait-il une contradiction entre
faire ce que l’on désire et être libre ?
Un désir assouvi est moins préoccupant. Un désir non assouvi conduit à la frustration, voire à
l’obsession.
Le désir est un moteur, une pulsion de vie. Il ne faut pas parler seulement de désir de consommation,
mais aussi, désir d’apprendre, de pouvoir, de s’améliorer, de séduction, de justice, de paix ….
Mais la publicité, omniprésente, est une manifestation du pouvoir économique. C’est une tentative
de manipulation qui ne se cache pas. On crée des besoins chez les individus qui ont l’illusion du choix
et de la liberté. Quand le désir devient besoin, on est dans l’aliénation, voire dans l’addiction.
On est aliéné si on porte le désir d’autrui.
Le désir de vivre autrement et le désir politique sont les mêmes. De cette façon, on ne peut pas nier
qu’il y a un rapport intime entre désir et liberté.
Il y a une dynamique des désirs. On peut faire une comparaison avec un jardin, on soigne, on arrose
certaines plantes, pendant qu’on en laisse dépérir d’autres. Avec les désirs, c’est pareil, on cultive
certains. Il y a liberté dans le choix que l’on fait de cultiver tel désir plutôt que tel autre. D’un désir
que l’on cultive, on peut dire qu’il devient notre volonté. Tous les désirs ne deviennent pas des
volontés.
Ces choix se font en général, en fonction de nos penchants, de nos préférences. Évidemment, on va
choisir plutôt dans les désirs correspondants à notre culture, d’où l’importance de connaître d’autres
cultures. Mais ils peuvent se faire aussi en fonction de la personne que je veux devenir. Et c’est là
qu’ils participent à la vie morale et éthique. Il est important d’avoir des choix de valeurs. La volonté
correspond à l’ensemble de nos désirs choisis.
Le philosophe canadien Charles Taylor parle d’« évaluations faibles » ou «évaluations fortes »
(Evaluations ou valorations). Les évaluations fortes portent sur des préférences pour des désirs qui
correspondent au type de personne que nous voulons être. Ils permettent ainsi la construction de la
personne. Passer des évaluations faibles (spontanés, sources de plaisir) aux évaluations fortes,
portant sur des choix de vie, est un défi, une tâche de tous les jours. Cela permet de donner de la
cohérence dans le temps à notre vie éthique et de devenir ce que l’on veut être.
Pour Nietzsche, la liberté consistait à faire tomber les valeurs existantes et à en créer d’autres. C’est
excessif, mais il y a de cela. Nous n’héritons jamais de quelque chose d’immuable, nous sommes en
devenir. On ne nait pas être humain, on le devient, on se construit.
Il ne faut pas accepter purement et simplement les désirs. Il faut en choisir certains, les cultiver, pour
qu’ils deviennent des volontés. Cet ensemble de désirs aboutit ainsi à une personne cohérente avec
ses choix de valeurs et dotée d’une vie morale. Nous pouvons choisir le type de vie humaine que
nous voulons cultiver.
Et c’est ainsi seulement que nous pouvons dire que l’homme, tout en étant un être de désir, est
effectivement libre.