Synthèse et conclusion
La question contient des affirmations. Sommes-nous d’accord avec ces affirmations ?
Les religions sont des vecteurs de violence ? C’est une opinion.
Pour l’étayer il faudrait faire l’histoire des religions. Il y a beaucoup de conflits et de violences qui n’étaient pas des affaires de religion : Gilgamesh
Est-ce que le problème vient de la doctrine ?
Les religions prônent l’amour ?
Toutes les religions ne prônent pas l’amour : cf hindouisme et zoroastrisme. Les religions monothéistes sont des mythes de la création.
Parmi les 10 commandements, il y a d’autres valeurs : le respect, l’honnêteté. La bible est pleine de bruit et de fureur. C’est Saint Paul qui a parlé d’amour.
On connaît plus de 1000 religions. On y trouve beaucoup de choses en dehors de l’amour, qui n’est pas l’élément central : le respect, l’obéissance, la soumission.
Dans la bible il n’y a pas un mot sur la liberté. La question véritable est peut-être : d’où vient la violence ? Il y a la question du prosélytisme (celui qui suit un guide). Comment croire profondément en quelque chose sans vouloir que les autres et surtout ceux qu’on aime, aient les mêmes croyances ?
Le prosélytisme n’est pas propre aux religions mais à toutes les convictions. Les convictions peuvent facilement dériver vers le totalitarisme (qu’il s’agisse de la Bible ou des Droits de l’Homme). Vivre sans convictions, c’est le scepticisme.
Si on dit que la vérité n’est pas accessible, c’est une affirmation qui se mord la queue. Il y a aussi la morale absolue : il y a d’un côté le bien, de l’autre le mal. Pour triompher, le bien doit exterminer le mal, y compris par la violence. Dans Zarathoustra, Nietzsche s’en prend à Zoroastre, car c’est lui qui a introduit la plus grande erreur, celle de différencier le bien et le mal. C’est donc à lui de défaire cette erreur. Il n’est pas toujours facile de savoir ce qui est bien et ce qui est mal. On en arrive à faire violence aux choses pour les classer. On se fait violence ou on fait violence à l’esprit dans le même but. Il y aussi l’opposition vérité/erreur. Mais la vérité change dans les sciences exactes. Toutefois, il y a un malentendu quand on parle de sciences exactes : toutes les sciences ont vocation à être vraies. Celui qui est dans l’erreur, il faut le ramener à tout prix dans le vrai. On revient à l’idée que ce sont les convictions qui entrainent la violence. Mais il y a des convictions qui n’entrainent pas de violence, comme par exemple le pacifisme. D’un mal, il peut parfois sortir un bien. La philosophie des lumières a abouti aux droits de l’homme, en passant par la terreur. Aujourd’hui, on peut faire la guerre à cause des droits de l’homme.
Dans religion, il y a l’idée de relier. Religare. Relier à dieu, à la communauté des croyants. Mais pour certains, l’étymologie, c’est religere : notion de colère, de récolter et de garder ensemble. Ce peut être aussi relir : les religieux sont ceux qui relisent les textes. Mais il n’y a pas de livres dans la religion romaine. Nous avons ce débat parce que nous vivons dans une société sécularisée : nous avons oublié le pouvoir de la religion, qui selon Durkheim est source de lien social.
Dans les sociétés post-durkheimiennes, c’est autre chose qui donne l’unité : l’argent, la consommation.
L’amour ? L’amour peut conduire à la haine et à la violence : il y a la violence des couples qui se séparent, la possessivité, la jalousie. Il faut démythifier l’amour : ce n’est pas une panacée. La passion aveugle, pousse à la démesure. L’amour n’est pas prôné par la politique. Kant observe que l’amour ne se commande pas : qu’est-ce qu’on fait avec ceux que nous n’aimons pas ? Pour Hannah Arendt l’amour n’est pas une catégorie politique, il ne peut pas être le pilier d’une société.
Est-ce que la violence est en nous ?
Elle peut venir de nos passions. Il y a des situations qui sont violentes en elles-mêmes. La violence c’est la négation de l’autre, on brise l’égalité, c’est un manque de respect, une atteinte à l’intégrité et à la dignité. La violence peut venir de la domination.
Ou est-ce que c’est la domination qui surgit de la violence ?
Il y a des dominations qui sont acceptées, elles ne sont pas violentes. Les religions sont des formes de domination consenties. Dominus veut dire maître, seigneur. Il y a de la soumission dans la religion. La religion donne une cohésion sociale au groupe. Si on est violent, on peut utiliser la religion et la cohésion pour mieux combattre le dominateur.
On dit souvent que les religions sont des sectes qui ont réussi. Le besoin de s’affilier à un groupe a toujours existé. Pour les grecs, les sectateurs étaient proches des prosélytes. Aujourd’hui on qualifie de sectaire quelqu’un qui n’accepte pas les doctrines différentes de celles de son groupe.
Dans la religion, le sectarisme n’est pas nécessairement violent. En revanche, si la domination est contraire au système de valeurs, à la personnalité éthique du dominé, alors il y a violence. C’est ce qui se passe avec un tyran.
Conclusion
Nous avons commencé par déconstruire la question
(ce qui ne signifie pas la démolir).
La 1er affirmation contenue dans la question (les religions sont vectrices de violence) reste à démontrer. La 2eme (les religions prônent l’amour) est plus subtile. Les religions prônent beaucoup de choses et pas forcément l’amour et l’amour n’est pas l’élément central.
En ce qui concerne la violence, il y a 2 hypothèses :
– Elle est en nous, constitutive de l’homme. Est-ce une pulsion ?
– C’est le résultat de la domination, donc un élément extérieur Une des pulsions les plus importantes est le désir de domination. La violence peut venir des convictions, de l’adhésion à ce que l’on croit vrai. Le scepticisme pourrait être une parade mais il se contredit lui-même. La religion donne sens à la vie, à la mort.
Ce besoin est sous-estimé dans les sociétés sécularisées, post-durkheimiennes. L’amour n’est pas une panacée et ce n’est pas une catégorie politique. Que faire ? On peut tenter de dominer ses passions, et ne pas se laisser dominer, c’est la liberté. Mais que serait la liberté sans liberté de faire le mal ? Le clivage bien/mal conduit à la violence, y compris à notre propre compréhension. La violence est inévitable. Et la violence engendre la violence (René Girard). Le désir de domination, comme le désir d’émancipation sont des vecteurs (=véhicules, ce qui transporte) de violence. Tout cela brosse le tableau de la condition humaine.
En art, il n’y a pas de dogme, pas de domination. Les conflits aboutissent à la création. La politique et l’économique produisent davantage de violence que la religion. Le monde est violent. Il y a des guerres de domination, des tentatives de tyrannie. La violence est constitutive de toutes les sociétés humaines. C’est la compréhension qui permet d’aller vers la non-violence.